Sortir du nucléaire, à quel prix ?

Les Echos

Le premier point est que le risque nucléaire ne s’accommode pas de demi-mesures. Si l’on pense qu’une catastrophe nucléaire est à la fois possible et absolument insupportable, il ne sert à rien de diminuer de 30 % ou de 50 %, ou même de 80 % la production d’électricité d’origine nucléaire, et on doit penser que seule l’interdiction totale est acceptable. Le risque nucléaire est défini par la probabilité très faible d’un dommage très grand. On pourrait même dire : la probabilité infinitésimale d’un dommage infini. Le danger est le produit de la probabilité par le dommage. Réduire de moitié le parc nucléaire réduit de moitié la probabilité, mais pas le danger, car la moitié de l’infini reste l’infini. La logique du risque nucléaire est donc par nature dichotomique. Les extrémistes qui ne se contentent pas d’une sortie partielle mais exigent une sortie totale ont la logique pour eux.

Le deuxième point est qu’il est absolument impossible de remplacer tout le nucléaire existant par l’éolien et le photovoltaïque. C’est pour partie une affaire d’économie. L’éolien en mer est subventionné à hauteur d’environ 10 centimes le kilowattheure, le solaire à hauteur de 30 centimes. Remplacer les 400 terowattheures de nucléaire (1 TWh égale 1 milliard de kilowattheures) par une quantité égale de renouvelable implique une subvention annuelle (vous avez bien lu : annuelle) de quelque 70 milliards d’euros, soit à peu près 3 points de PIB.

Mais c’est surtout une affaire de physique. On peut, en y mettant le prix, implanter assez d’éoliennes et de panneaux solaires pour produire 400 TWh : cela ne remplacera nullement les 400 TWh nucléaires. Parce que tous les kilowattheures ne se valent pas. L’éolien comme le photovoltaïque sont des sources d’énergie intermittentes qui ne fonctionnent que lorsqu’il y a du vent ou du soleil, c’est-à-dire une petite partie des 8.760 heures d’une année, et pas forcément au moment où on en a besoin. Les soirs d’hiver, où la demande d’électricité est particulièrement forte, le soleil ne brille pas, et on peut être certain que l’électricité photovoltaïque ne sera jamais au rendez-vous. Symétriquement, l’électricité solaire produite en abondance les beaux après-midi d’été ensoleillés ne trouvera pas forcément preneur. En Angleterre, en décembre 2009, lors de la semaine la plus froide depuis trente ans, le vent s’est mis en grève, comme un contrôleur aérien pour un week-end de fin juillet, et la contribution des 3.000 éoliennes du pays a représenté 0,1 % de la demande d’électricité nationale. Le solaire et l’éolien ne peuvent pas assurer plus du tiers de la production d’électricité. Ils doivent être assistés par des sources complémentaires sûres. Le Danemark fait la part belle à l’éolien, mais il dispose du gaz de la mer du Nord, et d’interconnexions qui lui permettent d’importer de l’électricité d’Allemagne lorsque le vent ne souffle plus.

Le troisième point, qui découle des deux autres, est que sortir du nucléaire implique un recours massif à l’électricité thermique à base de charbon, de fioul ou de gaz, comme va le faire l’Allemagne. Cela est parfaitement faisable. Mais cela revient à tripler les rejets de CO2 (et d’autres polluants) de l’électricité, et donc à tourner le dos à tous les engagements et à tous les discours de Kyoto et de Grenelle. Cela revient aussi à augmenter d’autant les importations de combustibles fossiles et à porter un mauvais coup à notre balance commerciale. Cela nous expose à la hausse du prix de ces carburants fossiles, que beaucoup nous annoncent très forte. Cela revient, enfin, à mettre une partie de notre destin entre les mains de M. Poutine, le grand contrôleur des vannes des gazoducs de Gazprom.

Nos politiciens commencent -enfin -à comprendre qu’ils ne peuvent pas promettre à la fois moins d’impôt, plus de dépenses et moins de dette. Il leur reste à comprendre qu’ils ne peuvent pas non plus promettre simultanément l’élimination du risque nucléaire, la lutte contre le changement climatique, la baisse du prix de l’électricité et l’indépendance énergétique. Espérons qu’ils apprendront l’écologie plus vite qu’ils ont appris les finances publiques.

Laisser un commentaire